Rediffusion ce matin sur Musique3 d’un entretien avec Chantal Akerman fait il y a deux ans dans l’excellente émission « Grand Charivari ». Nancy Sinatra chante « Bang Bang » – my baby shot me down / bang bang/ I hit the ground / bang bang – et cela lui donne des frissons. Puis vient la dernière question : avez-vous une devise personnelle ? Oui, répond Akerman, mais depuis peu; une phrase que me répète ma mère, quand je ne vais pas bien: Laisse-toi vivre, Chantal, laisse-toi vivre…
Apollinaire avait une devise formidable: J’émerveille. Seul un enchanteur comme lui pouvait dire sans vanité une chose pareille. Quelle belle tâche ! Apollinaire ne se souciait pas comme Kafka de soutenir le monde; jusque dans les tranchées le monde pour lui était un grand terrain de jeu. Même sa mélancolie était enchanteresse : moi qui sais des lais pour les reines / et des chansons pour les sirènes / la romance du mal aimé…
Soutenir le monde, c’est à dire vrai le sort d’un damné, comme Atlas, le frère de Prométhée. Pas gâtés dans cette famille ! Apollinaire, lui, s’employait à rendre le monde plus léger, à l’illuminer par la grâce de son verbe. Sa langue coule comme une eau pure. Ecoutez ça: Non, je ne trouve pas beaucoup de différence / De prendre du tabac à vivre d’expérience/ Car l’un n’est que fumée et l’autre que du vent.